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L'Hermine ou la pudeur et la retenue des sentiments humains

L’intrigue est la suivante : Michel Racine, président de la Cour d’Assises du Nord-Pas-de-Calais, est amené à juger un infanticide. Parmi les jurés, se trouve une femme qu’il a aimée des années auparavant.

En fait, la force de ce film est que dans les faits, il n’y a aucun thème central qui est réellement approfondi. Chaque thème est abordé mais n’est jamais étudié en profondeur. On se concentre sur un personnage, le président, sans pour autant l’introspecter. On le suit de loin, on ne sait pas ce qu’il pense, ce qu’il ressent, si ce n’est dans les dialogues et dans son attitude envers les autres personnages. C’est là où Luchini est bon, c’est que même sans rien dire, il nous fait passer à nous spectateurs, les bonnes émotions au bon moment.

Les dialogues sont efficaces, c’est-à-dire pas de parlotte pour ne rien dire. Lorsque les personnages, surtout les jurés, dialoguent entre eux, cela donne une vraie bonne scène de cinéma. Parce que lorsque chacun se présente, il en dit assez pour qu’on ait une vue d’ensemble sur ce qu’il est, sans pour autant trop se dévoiler. La scène est par ailleurs très réussie car bien menée. On fait un tour de table des jurés, attablés à un café sur la place du village. Chacun doit se présenter en quelques mots, ils le font avec l’humilité relative à la conscience qu’ils ont de l’ampleur de la tâche qui leur est confiée.

Transparaît également de la gaîté car le dialogue est facile entre eux, ils sont bienveillants et s’écoutent. La constitution des jurés est d’ailleurs représentative de la population du Nord-Pas-de-Calais : par exemple, il y a un homme Arabe de 65 ans, très bien habillé, ce qui prouve qu’il a conscience de la solennité de son rôle, qu’il mesure l’ampleur de sa tâche et l’importance qu’il accorde à la justice. Tout cela, on le déduit de son habit. C’est ça L’Hermine, la suggestion, poussée par des plans qui s’attardent sur les personnages, mais sans jamais trop en faire ou en dire. Et c’est tellement plus efficace.

Parlons maintenant du procès, car c’est autour de lui que s’articule toute l’intrigue. Un jeune homme, Martial, est accusé d’avoir battu à mort sa petite fille de 7 mois. Là encore on pourrait penser que le spectateur est tenu en haleine et n’attend qu’une chose : que la vérité éclate. On assiste à l’audition des témoins, de l’accusé, à son enquête de personnalité, mais sans pour autant parvenir à bien le cerner, ni lui, ni sa femme. A l’issue du procès, avant que les jurés ne se retirent pour délibérer, Luchini réalise une de ses plus belles scènes. Alors qu’il est décrit pendant tout le film comme un président à deux chiffres, c’est-à-dire que les peines qu’il inflige aux accusés comportent toujours deux chiffres, il révèle dans cette scène son côté humain. Il explique avec bienveillance aux jurés qu’il voit essayer de comprendre à tout prix pourquoi il ne faut pas qu’ils s’attendent à ce que la vérité éclate. La raison qu’il donne est que ce n’est pas le rôle de la justice que d’attendre la vérité. Le rôle de la justice est d’appliquer la loi, tout en faisant prévaloir la présomption d’innocence car le doute bénéficie à l’accusé. L’accusé, qui, est finalement déclaré innocent par les jurés.

Pour finir, il faut absolument parler de la performance remarquable de Fabrice Luchini, d’ailleurs récompensé par le prix du meilleur acteur à la Mostra de Venise. La personnalité de Luchini est taillée sur mesure pour ce rôle. Il ne surjoue pas, il est le président de la Cour d’Assises. Un président dont le film ne consiste pas à en faire l’introspection. L’enjeu n’est pas de montrer l’étendue des états d’âme du président mais de les suggérer sans que jamais cela ne devienne l’élément central du film : problèmes de couple, entente difficile avec les autres magistrats. S’il est présenté comme sans-cœur par ses collègues magistrats et que ses répliques sèches et cinglantes illustrent cette idée d’un président au cœur de pierre, Michel Racine, se révèle être un être doué de sensibilité. Cette sensibilité se dévoile peu à peu durant le film quand il découvre que parmi les jurés figure une femme dont il est tombé amoureux quelques années. Cette femme, remarquablement interprétée par Sidse Babett Knudsen, est l’incarnation de la douceur et de la dignité. En tant que jurée, elle cherche à comprendre et à se mettre à la place de l’accusé et de sa femme tout en gardant une certaine distance avec le procès. Là encore le film ne sombre pas dans un pathos où cette femme est obnubilée par la vérité ou cherche à sauver l’accusé. Rien de tout cela. Elle essaye de comprendre pour être le plus objectif possible. Pas même quand elle dit devant toute la Cour que l’enfant dont la mère de la petite fille morte était enceinte au moment des faits n’a jamais vu son père qui était emprisonné. Elle constate, non pas froidement, mais avec dignité et respect.

Je dis respect car tout le film est articulé autour de cette notion de respect de l’autre. Déjà par le thème de la justice, qui doit faire respecter ce principe constitutionnel du respect d’autrui et le sanctionner s’il n’est pas respecté. Mais aussi par l’attitude des jurés qui se respectent entre eux. Il y a parmi eux, une jeune musulmane, voilée, qui refuse la proposition d’un juré de la raccompagner chez elle en voiture pour lui éviter d’avoir à dépendre de sa cousine. Lorsque celle-ci décline sa proposition car son mari risque de ne pas être d’accord, le juré insiste un peu, puis se rend compte de sa propre lourdeur et n’insiste plus.

Enfin, le thème du théâtre est également abordé. D’abord, par le nom du président de la Cour, M. Racine, petit clin d’œil à l’amour que porte Luchini à la littérature. Ensuite, Parce qu’il est vrai que le film ressemble à un huis clos puisqu’il se déroule essentiellement dans la salle du tribunal ou dans le café du coin. La mise en scène de l’entrée du président, des magistrats et des jurés qui sont annoncés par une petite sonnette puis par un aboyeur qui clame : « la Cour » rappelle les trois coups qui annoncent le début de la pièce de théâtre. Enfin, le costume, L’Hermine, du président et le fait que la Cour soit sur une scène surélevée renforce cet aspect théâtral d’ailleurs pointé par la fille de la jurée qui veut que sa mère soit belle pour « monter sur la scène ».

Ce film est réellement bon car il est très équilibré, bien mené avec des performances magistrales. La simplicité des sentiments humains décrits avec pudeur ne fait que renforcer cette notion de respect car le réalisateur ne force pas la porte du cœur des personnages. Il leur laisse la liberté de s’exprimer sans que cela ne devienne trop pesant. Par exemple, l’histoire d’amour entre le président, M. Racine, et cette femme jurée est vue avec un œil extérieur, mais on ne se focalise pas ou très peu sur ce que chacun peut ressentir à l’égard de l’autre. M. Racine lui avoue son amour simplement en lui disant qu’il se souvient d’un dîner avec elle où elle portait une robe en dentelle couleur chair. Celle-ci ne réplique pas mais lui prouve le sien en mettant sa robe chair en dentelle le jour suivant.

Tout en retenue et en pudeur, ce film aborde les sentiments humains avec assez de distance pour ne pas sombrer dans le pathos de l’introspection mais avec assez de précision pour ne pas qu’on se sente étranger aux personnages.

 

 

 

 

 

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